dimanche, avril 16, 2006

La dicature de la rue Saint Jacques (1)

article de jacques Parizeau en 1970
source: "23 dossiers de québec-presse"

Jacques Parizeau

La puissance des financiers est telle qu' "On élit des gouvernements qui ne mènent qu'en partie"

15 février 1970
"LA BANQUE DE MONTRÉAL RACONTE DES IDIOTIES"

"La Banque de Montréal raconte des idioties. Tout est connu, public, tout est dans le Journal des débats de l'époque. Ou bien les gens de la Banque se trompent d'émissions d'obligations, ou bien ils racontent des bobards."

C'est Jacques Parizeau qui parle, mercredi dernier, chez lui. Il réplique au démenti apporté par la Banque de Montréal a I'affirmation qu'il a faite récemment a I'effet qu'a I'automne de 1963 le cartel financier, domine par Ames & Co Ltd., et la Banque de Montréal, a réalisé un profit scandaleux, a l'occasion d'un emprunt effectue par le Québec: 3 millions de dollars en 48 heures.

Pendant deux heures, Parizeau, ex-conseiller financier du cabinet provincial, devenu membre de I'exécutif du Parti Québécois, expliquera le plus simplement possible les rouages compliques des emprunts publics. A toutes les quinze minutes ou à peu près, il se lève, part du bout du salon ou nous sommes et se rend a I'autre bout, près du tourne-disques.

II change le disque ou le retourne ou replace le même, je ne sais trop, tout en continuant de parler. Les haut-parleurs sont agressifs et vigoureux.

Parizeau, lui, a I'air de s'y sentir tout à son aise. "Schumann" dit-il; en souriant au photographe, I'air de trouver ça plus reposant que les graves questions économiques qu'il vient de reporter, avec fermeté, a l'attention du public.



UN SYSTEME INEVITABLE

"Quand un état provincial veut emprunter, il se retrouve, sur le marche, dans la même position qu'une compagnie privée, comme Bell Téléphone, par exemple. La situation est différente pour le gouvernement d'Ottawa. A cause de la Banque du Canada, la Banque centrale. Quand Ottawa veut emprunter, il passe par I'intermédiaire de courtiers, mais toutes difficultés qui pourraient survenir, toutes réticences que pourraient éprouver les courtiers devant certaines politiques gouvernementales et qui pourraient se traduire par des restrictions de crédit peuvent ère compensées par la Banque du Canada. Si toutes les obligations du Canada ne se vendent pas, la Banque du Canada acheté le surplus, un point c'est tout. Un état provincial n'a pas de banque centrale, tout doit passer par les courtiers

Pourquoi la banque Centrale du Canada ne se comporterait-elle pas vis-à-vis des provinces comme elle se comporte vis-à-vis du gouvernement central?

Pour des motifs politiques. Les gouverneurs de la Banque n'ont jamais voulu se faire prendre les pieds dans des questions politiques. La Banque du Canada ne veut pas être accusée, par une province, d'en favoriser une autre. En période électorale, par exemple.

- Pourquoi le gouvernement ne vend-il pas directement au détail, ses obligations, au lieu de passer par les courtiers et par le cartel?

Le gouvernement a essaye avec ses ventes d'obligations, dans le passe. C'est très difficile. Toute fluctuation du taux général intérêt amène les détenteurs a revendre leurs obligations au Québec des qu'il y a hausse de l'intérêt ailleurs. Le gouvernement doit alors réajuster ses taux, mais dans I'intervalle, il a peut-être perdu 20 ou 40 millions. Mais surtout, il y a le fait que le Qu6bec, comme l'Ontario, a des besoins énormes. Il lui est extrêmement difficile d'échapper au cartel financier.

Ni l'une ni l'autre des deux provinces, en fait, n'y échappent. Les petits provinces peuvent y échapper. Ce fut le cas par exemple, de la Saskatchewan, quand la CCF pas le NPD d'aujourd'hui mais bien la CCF,

le socialisme muscle, a pris le pouvoir. 'Les financiers ont mal réagi devant les options politiques gouvernementales. Ils ont voulu boycotter les emprunts de la province. Il a alors été possible a la Saskatchewan parce qu'il s'agissait de petits emprunts, de passer outre aux courtiers et d'aller directement, elle-même, aux sources. Au Québec, ce n'est pas possible, les emprunts sont trop importants.

"En fait, a la suite de l'emprunt de septembre 1963, ou le Québec avait été amené a payer un taux d'intérêt de démesurément élevé, Kierans s'était attaque au cartel. Il l'avait divise en deux. La réaction des financiers a alors été simple : ils se sont entendus pour alterner, donc pour éviter la concurrence une fois encore. Aujourd'hui, les deux ailes fonctionnent ensemble.

Pour le prouver, Parizeau a fait parvenir a La Presse, au cours de la semaine dernière, une photocopie d'une lettre, signée conjointement par Ames, la Banque de Montréal, et leurs associes, lettre -adressée aux courtiers, les invitant a adhéré aux cartel, pour 1970.


-,Et le rôle de la Caisse de dépôts?

La Caisse de dépôts et placements avait précisément pour objectifs, entre autres, de libérer le Québec de l'emprise des financiers. La caisse aurait pu jouer au Québec un rôle un peu semblable a celui de la Banque du Canada, pour Ottawa.

En fait, la Caisse de dépôts et placements ne s'est pas ajoutée aux possibilités du Québec, elle a remplace le marche de Toronto qui s'est ferme au Québec, a la suite des exigences de Daniel Johnson sur les répartitions fiscales; et a la suite de la réduction annoncée, mais non réalisée, des subventions à McGill.

La Caisse de dépôts pourrait être très utile si elle grossissait considérablement, en absorbant, par exemple, tous les fonds de pension, mais c'est difficile d'y arriver.

"Il ne faut passe faire d'illusions sur la nature des gouvernements qu'on élit. Dans le système actuel, qu'on élise qui ont veut, ça ne changera pas grand chose. J'attaque peu les hommes qui ont été au pouvoir ou qui veulent y être. On a eu, au Québec, quelques politiciens tout a fait' remarquables, mais ça n'a pas change. Comme disait Doris Lussier, changer de conducteur, ça n'arrange rien. C'est le char qu'il faut changer. Dans le système actuel, quand c'est l'Ontario qui s'oppose au gouvernement fédéral, c'est considéré comme une affaire de gros sous. Quand c'est le Québec, c'est autre chose, même quand il réclame des choses identiques a l'Ontario. Pour quiconque a suivi les conférences fédérales, provinciales, c'est clair. On a affaire a un mécanisme, le cartel financier, qui veut nous garder dans le rang. On élit des gouvernements qui ne mènent qu'en partie.

AUTOPSIE (REELLE) D'UN EMPRUNT

(FICTIF)

1 ère ETAPE

Après étude, le Québec détermine qu'il devra emprunter, au cours des 12 mois qui viennent, 500 millions de dollars.

2ieme ETAPE

Le Québec détermine la part de cette somme qui sera empruntée au Canada et la part qui sera empruntée a l'étranger, surtout à New-York. Exemple: 350 millions de dollars au Canada, 150 million à l'étranger

3ieme ETAPE

Le gouvernement rencontre alors en ce qui concerne la part qui doit être empruntée au Canada les principaux courtiers qui sont, en fait, des financiers, qui auront pour tache, dans ce cas, de trouver des préteurs. Ensemble, les courtiers et le gouvernement repartissent la somme totale de 350 millions en une série de plus petits emprunts repartis sur un an: 10 ou 11 emprunts d'a peu près 35 millions chacun.

Le gouvernement accorde aux courtiers choisis I'exclusivité de I'emprunt: le gouvernement ne fera appel a aucun autre courtier, donc pas de concurrence.

4ieme ETAPE

Avant chacun de ces 10 ou 11 emprunts, les courtiers, dans le cadre de l'entente générale annuelle qui a été conclue, s'engageront habituellement a fournir au gouvernement, quoiqu'il arrive, la somme demandée.

5ieme ETAPE

Les courtiers, les principaux d'entre eux, ceux qui ont été convoques par le gouvernement, forment alors un groupe ou un syndicat, auquel adhèrent volontairement" les autres courtiers moins importants. -Comme

les "gros" courtiers, (qui sont au Québec la Maison Ames & Co Ltd, la Banque de Montréal, la Banque Royale et Wøod Gundy Securities Ltd, plus leurs associés) ont l'exclusivité de l'emprunt demande par le Québec, les autres courtiers n'ont pas le choix: ou bien ils adhèrent au syndicat et bénéficieront des bienfaits de l'emprunt, ou bien ils refusent, et seront totalement écartés de la transaction et donc de ses bénéfices. Cette entente, entre courtiers, dont les deux super-grands sont Ames et Associes et Banque de Montréal et Associes, est valide pour un an, et est renouvelable chaque année, par lettre.



6ieme ETAPE -

Ainsi constitues en cartel, en syndicat unique, sans concurrence possible - ce qui est d'ailleurs l'égal - les courtiers peuvent fixer le taux d'intérêt de leur choix, aucun autre courtier n'ayant le droit d'intervenir et d'organiser l'emprunt à moindre coût pour le Québec.

7iemeETAPE

Monopole, le syndicat financier détient ainsi on pouvoir déterminant, sur toutes les politiques de l'état provincial. Si telle ou telle décision politique (ex: subventions jugées insuffisantes a McGill) ne lui plait pas, il peut intervenir par le truchement du taux d'intérêt qui est a déterminé, ou encore il peut, dans certains cas,(ex: emprunt effectue en septembre 1963) s'engager non pas a assurer la totalité de I'emprunt, mais une partie seulement, et ralentir sciemment la vente des obligations du Québec sur le marche Cela, jusqu'a ce que le gouvernement se soit conforme a ses bons désirs.

Parler du contrôle de la rue St-Jacques sur la politique québécoise, c'est parler, entre autres choses, de ce contrôle sournois et puissant, dénonce par l'économiste Jacques Parizeau.

AU QUEBEC, L'ETAT DOIT INTERVENIR

"Au Québec, il faut faire intervenir l'État. C'est inévitable.

C'est ce qui nous donne une allure plus a gauche. Si nous avions, au Québec, 25 entreprises Bombardier, et si nous avi0ns des banques très importantes, la situation serait peut-être différente. Nous n'avons pas de grosses institutions , il faut donc les créer.

A notre époque les administrateurs prives ressemblent étrangement aux administrateurs publics.

"Même un gouvernement de droite, comme l'Union Nationale, se sent force de créer des organismes d'État. Les libéraux avaient crée Soquem, pour I'exploration minière, l'Union Nationale vient de créer Soquip, pour I'exploration pétrolière



DE L'EXTREME-CENTRE

"Pour les Américains, nos opérations dites de gauche sont de l'extrême centre. Dans tous les Pays du monde ou ils font affaire, ils connaissent des situations ou I'État intervient. Pour le Canadien anglais, c'est différent. Un nationalisme et une forme de socialisme c'est susceptible, pour lui, de faire sauter Ia baraque.

"Imaginons, dans un Québec indépendant, un gouvernement de centre-gauche. Le Parti Québécois propose au Canada de continuer certaines formes de protection a l'endroit du capital américain. Si ces protections sautent, si Ames & Co. Ltd., par exemple, ferme ses partes à Montréal, pour partir a Toronto, il va être aussitôt remplace par un courtier américain Est-ce que Ames a intérêt de faire cela? Entre-temps, d'ici a ce que I'indépendance soit faite, les financiers ont intérêt, bien sur, a s'opposer a tout changement au Québec. Mais une foisl''indépendance faite, ce sera bien différent.


-Et aux prochaines élections, le cartel se fera sentit ?

-Et sur les élections et sur le prochain gouvernement. Le cartel ne tolérera certainement pas, au prochain gouvernement, de surenchère avec les séparatistes et avec les souverainistes.

-Au niveau électoral, ce thème de la finance contrôle, ça peut être rentable?

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

On crois tjrs au complot !

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Refinancement d'emprunt

10:54 a.m.  

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