Les "bons" passages sont en rouge et mes commentaires dans le texte sont en jaune. Notez que trois des signataires de ce document sont des profs de l'université Laval. lienDiversité religieuse, tolérance et valeurs maçonniques
Mémoire présenté à la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodements reliées aux différences culturelles par un groupe de francs-maçons
Introduction : une intervention inspirée par la pensée maçonnique
Le présent mémoire est présenté par des francs-maçons de la région de Québec. Hommes et femmes, ils sont d’origines ethniques ou nationales diverses, exercent des professions diverses et appartiennent à des familles politiques diverses également. Mais, au-delà de ces diversités, ils sont réunis par leur appartenance à la franc-maçonnerie libérale et c’est en tant que maçons qu’ils s’expriment ici et ce à titre individuel et non au nom de leur loge ou de leur obédience. Le présent mémoire reflète la façon dont, à la lumière de la pensée maçonnique, ils interprètent les enjeux du débat relatif aux pratiques d'accommodements reliées aux différences culturelles qui a agité récemment la société québécoise et contient des propositions que leur inspire cette pensée sur ce sujet. Les pages qui suivent n’ont donc pas la prétention de constituer un travail érudit ou universitaire de spécialistes, juristes, philosophes, sociologues ou politologues, sur les questions touchées par le débat.
La franc-maçonnerie est présente au Québec depuis plus de deux siècles. Le courant auquel nous appartenons, la franc-maçonnerie libérale, y existe depuis moins longtemps et c’est une des rares fois qu’elle se manifeste publiquement. Notre mouvement se veut discret et préfère de loin l’action libre de ses membres à une action collective. Toutefois, devant l’importance de la présente Commission pour l’avenir du Québec
et parce que le thème de ses travaux rejoint des préoccupations fondamentales de notre mouvement, nous avons cru bon rendre publique notre position.
Depuis ses débuts, la franc-maçonnerie a prôné la tolérance entendue comme rejet du fanatisme religieux ou politique, qui impose par la force des vérités dites absolues. La devise de la franc-maçonnerie libérale et de l’Ordre maçonnique mixte et international Le Droit humain, « Liberté, égalité, fraternité », résume bien ses principes. L'individu doit être libre dans une société libre, égalitaire et solidaire.
Ces grands idéaux, que l'on retrouve aujourd'hui dans les chartes de droits de la personne des pays démocratiques, ont été, dans le passé, des valeurs révolutionnaires, essentiellement soutenues par des esprits progressistes, parmi lesquels il y avait bon nombre de francs-maçons. Ajoutons que notre obédience, Le Droit humain, est une obédience mixte, qui attache une importance particulière à l’égalité entre les hommes et les femmes. Soulignons enfin que nous pratiquons entre nous la tolérance et la liberté de pensée et que bien souvent coexistent chez nous des convictions fort différentes les unes des autres.
Le désir de justice qui anime les membres de la franc-maçonnerie s'accompagne de la conviction que les êtres humains, comme les sociétés et les lois qui les régissent, sont perfectibles. Donc, estiment-ils, il est du devoir de chacun de s'améliorer et de contribuer à l'amélioration de la société, en prenant des moyens concrets pour réaliser ce double idéal.
Les maçons essaient de vivre selon leurs valeurs et travaillent à les répandre et ainsi à rendre les sociétés dans lesquelles ils vivent plus conformes à ces valeurs.
[commentaire: en complotant] Il est donc naturel qu’ils se portent à leur défense lorsqu’ils les sentent menacées. C’est le cas aujourd’hui.
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1. Notre lecture du débat, de son contexte et de ses enjeux
Le débat
Plusieurs ajustements et accommodements1 accordés récemment à des membres de minorités religieuses afin de leur permettre de respecter les prescriptions de leur religion tout en bénéficiant des services des établissements publics ont été jugés déraisonnables par certains : ils y ont vu des concessions indues à des groupes trop exigeants, mal intégrés, menaçant l’identité du Québec et ayant des comportements contraires aux valeurs de la majorité. La notion juridique d’accommodement raisonnable a en outre été mal comprise et on a appliqué ce terme à toutes sortes d’arrangements qui n’étaient pas de réels accommodements. Les dénonciations de toutes ces pratiques ont suscité un débat public parfois virulent.
La controverse a porté principalement sur des accommodements ou pseudo-accommodements accordés à la suite de demandes invoquant la liberté de religion. Dans son essence, le débat ne porte donc pas sur les phénomènes d'immigration, ni de diversité ethno-culturelle. Cependant, la discussion s’est étendue aux thèmes de l’identité culturelle, d’une part, et de l’immigration, d’autre part. Le mandat de la Commission reflète cet élargissement. Notre mémoire abordera donc aussi ces questions.
Le contexte
Au Québec, comme dans l’ensemble du Canada, les accommodements raisonnables sont accordés depuis plusieurs dizaines d’années, sans que cela ait soulevé des protestations comme celles que l’on a vues récemment. On peut donc se demander pourquoi cette question est devenue soudain si sensible. La réponse à cette question est sans doute complexe et réside en grande partie dans les contextes international et local qui ont vu son émergence.
Un peu partout dans le monde, différentes formes d’extrémisme religieux, violentes et agressives, mettent en danger les acquis de la liberté. Cette montée des intégrismes totalitaires peut constituer un vrai problème Cela a inquiété beaucoup de nos concitoyens soucieux de préserver le caractère démocratique de notre société et le désir légitime de lutter contre ces intégrismes les a amenés à se positionner contre toutes les demandes d’accommodements religieux. Nous pensons que cet amalgame est trompeur. Seuls sont réellement dangereuses les personnes qui pratiquent et prêchent des comportements violents ou qui briment des droits fondamentaux. On aurait tort de réunir dans une même réprobation les religieux pacifiques dont le seul « péché » est de vivre entre eux, en dehors du courant majoritaire, comme les moines catholiques ou bouddhistes ou les communautés hassidiques, et les groupes dont le but avoué est la destruction de nos sociétés.
Au niveau local, la séculaire insécurité culturelle du groupe francophone, majoritaire dans la province, mais minoritaire sur le continent, a pu alimenter une peur de perte d’identité devant la présence de minorités culturelles et religieuses numériquement de plus en plus importantes, de plus en plus visibles et qui, légitimement, demandent avec de plus en plus d’insistance à être reconnues dans leurs spécificité. Ce sentiment a pu être renforcé par le fait que ce groupe a vécu sa propre sécularisation comme une libération de l’oppression de l’Église catholique et qu’il redoute de tomber sous le joug d’autres religions très militantes. Ce souci ne doit pas cependant le conduire à imposer la même démarche à tous.
1 L'accommodement raisonnable est l'obligation découlant de la jurisprudence pour une institution ou un établissement public de corriger les effets discriminatoires non intentionnels ou indirects de divers règlements, normes ou pratiques sur certaines personnes (handicapés, femmes, personnes âgées, etc.) afin de préserver leurs libertés et leurs droits fondamentaux.
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Il faut reconnaître aussi qu’un esprit de provocation se cache derrière certaines demandes récentes d’accommodement, qui semblent dictées par des considérations purement politiques, liées à la conjoncture internationale. Cela n’a pu passer inaperçu et peut expliquer -sans l’excuser- une crispation identitaire génératrice d’intolérance.
Enfin, on ne peut ignorer le côté artificiel de ce débat : on peut se demander s’il n’a pas pris les proportions que l’on connaît en grande partie à cause du comportement de certains médias. Ceux-ci ont monté en épingle des faits insignifiants, qui seraient passés inaperçus dans d’autres circonstances, ou dénoncé à grands cris des situations qui dans bien des cas existaient depuis de nombreuses années sans que cela crée de problème. Nous ferons une recommandation à ce sujet.
Pure construction médiatique ou crise révélatrice d’un problème de fond et de visions irréconciliables, le débat a acquis une portée symbolique démesurée et met en cause des valeurs sociétales fondamentales.
Les enjeux
Les enjeux du présent débat correspondent à des valeurs importantes pour les francs-maçons, valeurs qui sont également centrales pour la plupart des Québécois. [commentaire: les valeurs CATHOLIQUES ont construit le Québec mais les valeurs maçonniques tuent le Québec depuis 1960] En effet, à nos yeux, la question des accommodements raisonnables est d’abord un enjeu de droits et de libertés. L’obligation d’accommodement, imposée par la jurisprudence, découle de lois qui interdisent la discrimination et des Chartes canadienne et québécoise des droits et libertés2. Ce sont ces libertés et ces droits qui garantissent à tous les Québécois une société ouverte et tolérante et qui protègent les minorités de la dictature de la majorité.
Les valeurs qui les sous-tendent sont aussi au centre des valeurs maçonniques. Il nous importe de les préserver contre vents et marées. Ces valeurs sont largement partagées par les Québécois, mais sont encore fragiles : à l’occasion du présent débat, des voix – parfois très écoutées – ont réclamé la remise en cause de certaines des dispositions de la charte québécoise et l’invocation de la « clause nonobstant » de la charte canadienne. Cela nous inquiète beaucoup et nous nous opposons de toutes nos forces à ce qu’on acquiesce à cette demande. Cela fera l’objet d’une de nos recommandations.
Comme nous l’avons dit, la discussion publique autour de certains accommodements raisonnables a été l’occasion de manifestations plus ou moins hostiles à divers groupes de personnes récemment installés au Québec ou appartenant à des minorités religieuses. À ce sujet, nous tenons à dire que nous adhérons sans restriction à la Déclaration du gouvernement du Québec sur les relations interethniques et interraciales adoptée en 1986 et que nous sommes favorables à ce que soient davantage prises en compte et reconnues les valeurs culturelles de ces groupes.
L’intolérance et les dérapages xénophobes (ou «hétérophobes» selon la dénomination plus exacte de la Commission) ne sauraient être excusés par le souci de préserver l’identité culturelle des Québécois d’origine canadienne française, ni par l’insécurité, bien compréhensible, qu’ils peuvent éprouver du fait de leur situation minoritaire sur le continent. [commentaire: au diable la langue française, l'important pour les FM est le culte de la minorité]Le concept de laïcité a été invoqué à plusieurs reprises contre certaines pratiques d’harmonisation interculturelle. La question des relations entre l’État et l’Église revêt, en effet, une importance centrale dans le présent débat. Les francs-maçons de tendance libérale ont depuis plusieurs siècles joué un rôle important dans l’évolution de ces relations et ont contribué de façon déterminante au triomphe du principe de séparation de ces deux institutions3. Cependant, la laïcité n’est pas comme telle une valeur absolue pour
2 J. Woehrling, «L’obligation d’accommodement raisonnable et l’adaptation de la société à la diversité religieuse», Revue de droit de McGill, (1998), 43, p. 325 ss.
3 À ce sujet, voir, par exemple, plusieurs des textes réunis dans Jean-Pierre Bastian (dir.), La modernité religieuse en perspective comparée. Europe latine - Amérique latine, Paris , Karthala, 2001.
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nous. Elle n’est pas une fin en soi. Dans divers pays, les francs-maçons l’ont certes préconisée et défendue, parfois de façon très militante, toujours avec conviction. Mais, selon nous, ils ont soutenu cette position au nom de valeurs plus fondamentales pour eux, comme la liberté [de culte], l’égalité entre les citoyens [des diverses religions] et la tolérance. Cette dernière valeur – essentielle à leurs yeux – était impossible à concrétiser tant que l’Église catholique, dont on connaît le dogmatisme, dominait la vie politique et prétendait gouverner la pensée.
On comprend donc l’engagement historique des maçons aux côtés des laïques. Mais les circonstances peuvent exiger qu’au nom de ces mêmes valeurs ils défendent des positions différentes : dans le débat actuel, il faut y insister, l’intolérance et l’attitude inquisitoriale se trouvent parfois du côté des partisans d’une laïcité radicale, qui pour l’occasion s’allient parfois avec les défenseurs d’idéologies identitaires réactionnaires. De plus, dans le contexte québécois actuel, le principe de laïcité nous semble avoir été invoqué de façon parfois peu pertinente4. Nous reviendrons plus loin sur cette question.
On le voit, ce ne sont pas tant les mesures d’harmonisation qui nous inquiètent que la tournure qu’a prise la discussion dont ils sont l’objet, car
certaines des positions défendues contre ces arrangements mettent en danger les valeurs que nous venons de mentionner. Nous pensons que le gouvernement doit réaffirmer l’importance qu’il leur accorde, que son action doit faire en sorte qu’elles soient protégées et respectées et qu’il doit essayer de persuader l’ensemble de la population d’y adhérer. [commentaire: le gouvernement défendra les valeurs maçonniques par une vaste campagne de propagande]2. Nos propositions
Le mandat de la Commission est de faire des recommandations « afin que les pratiques d'accommodements soient respectueuses des valeurs communes des Québécois ». Nous attendons de la Commission qu’elle recommande au gouvernement de réaffirmer son attachement aux valeurs civiques universalistes de liberté, d’ouverture et d’inclusion qui sous-tendent les chartes, de les préserver et de les promouvoir.
Il doit achever et rendre manifeste la neutralité de l’État en matière de religion.
[commentaire: "achever" dans le sens de tuer] Il doit aussi veiller, par un mode de gestion pluraliste, à ce que tous les habitants du Québec puissent, dans le respect des lois, vivre librement selon leurs traditions culturelles et religieuses pourvu que celles-ci ne contredisent pas ces valeurs et les règles de vie qui en découlent. En ce qui concerne la protection des individus, nous croyons que son rôle consiste essentiellement à, selon le mot du juriste Marcel Barbier, garantir la coexistence des libertés. Il doit, enfin, adopter une politique d’immigration à la fois rigoureuse et accueillante.
Achever et rendre plus manifeste sa propre neutralité religieuse
Le principe de la séparation – essentiel – entre l’Église (entendue au sens générique de « religion ») et de l’État est acquis et n’est guère remis en question. Il est, nous l’avons dit, souvent interprété en termes de laïcité et de neutralité5, notions sur lesquelles s’appuient de nombreux arguments utilisés dans le présent débat. Redisons-le : il ne nous paraît pas pertinent de convoquer ici la première de ces notions, car elle est ambiguë et étroitement associée aux institutions et à la tradition de la République française et de quelques
4 Voir Pierre Bosset, « ‘Laïcité’ et pluralisme religieux - Du bon et du mauvais usage de la perspective française dans le débat québécois», Le Devoir, 17 janvier 2004.
5 À ce sujet, voir, notamment, Micheline Milot, « Neutralité politique et libertés de religion dans les sociétés plurielles. Le cas canadien », dans De la séparation des Eglises et de l’Etat à l’avenir de la laïcité, J. Baubérot et M. Wieviorka (éd.), Paris, Éditions de l’Aube, 2005, pp. 274-287.
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autres pays6. Le Canada (y inclus le Québec) a, comme d’autres démocraties, réalisé cette séparation sans recourir explicitement à ce concept : en Amérique du Nord, fait remarquer Micheline Milot, «la laïcité n’[...] apparaît de l’ordre ni d’une valeur ni d’un idéal normatif de la citoyenneté7». Elle ne nous paraît pas non plus essentielle à notre propos. Nous préférons parler de neutralité de l’État en matière de religion : il s’agit pour nous du simple fait pour l’État de ne pas privilégier une religion et de s’affranchir de toutes. Si, au Québec, l’affranchissement de l’État de l’influence excessive de l’Église catholique est en voie d’achèvement, notamment par la déconfessionnalisation de l’école publique, nous pensons que, dans le contexte actuel, particulièrement tendu, il serait opportun que le pouvoir réaffirme la neutralité religieuse de l’État et prenne quelques mesures symboliques pour la rendre manifeste. Il est important, en effet, que l’État non seulement donne toutes les garanties de sa neutralité, mais aussi qu’il en présente les apparences. En effet, cela renforce aux yeux de tous l’image de son impartialité et facilite ainsi la loyauté de tous. Cependant, les religions ayant historiquement structuré les sociétés devenues séculières, il serait bien difficile – et il nous semble excessif – d’éliminer, sous prétexte de neutralité, tous les symboles d’origine religieuse des espaces publics : ils sont devenus l’expression de la tradition populaire et constituent des éléments importants du patrimoine commun. En d’autres termes, notre exigence de neutralité ne concerne que l’espace public entendu au sens très restreint d’institutions étatiques et non tous les lieux publics.
Protéger les individus
L’obligation d’accommodement existe à l’égard des individus et non des collectivités. Les droits individuels sont au coeur des chartes et cela est parfois critiqué, notamment dans la discussion qui a eu lieu au sujet des accommodements. Mais, pour nous, francs-maçons, le fait que la société soit fondée sur le respect des droits individuels n’est pas un problème. [commentaire: voici la vision de Trudeau, la religion des chartes et le culte des droits individuels qui devient une arme pour combattre le nationalisme québécois] Au contraire, pensons-nous, c’est la valorisation excessive des droits collectifs qui peut mener à des dérives dangereuses, car c’est souvent au nom de conceptions radicales de ces droits qu’ont été et que sont encore commis les pires excès contre les personnes. Nous insistons sur le caractère central de cette obligation de l’État envers ses citoyens et sur la nécessité de la maintenir.
Cette mission concerne, évidemment, tous les individus. Il peut arriver que des membres de groupes religieux voient leurs libertés individuelles restreintes ou niées par des instances communautaires ou religieuses de leur propre groupe, parfois même de leur famille. Ces personnes, souvent des femmes, doivent savoir que l’État les protège et qu’elles ont des recours. Il faut veiller à ce que, dans ces situations,
6 On peut définir sommairement la laïcité dans son premier sens comme la forme juridique adoptée historiquement par la France et la Turquie pour réaliser la séparation de l'Église et de l’État et ainsi assurer la liberté des individus face à un pouvoir religieux arbitraire et prétendant diriger tous les aspects de la vie politique. La laïcité est donc d’abord un concept français, qui n’a pas de correspondant exact dans d’autres pays (le mot n’a d’ailleurs pas de traduction exacte dans plusieurs autres langues). On peut aussi lui donner une définition moins institutionnelle et plus théorique et admettre alors, comme Jean-Paul Willaime, qu’elle est devenue un « bien commun » en Europe occidentale et dans plusieurs autres pays et considérer qu’elle est la réunion de trois principes : la double neutralité (la neutralité confessionnelle de l’État et le respect par celui-ci de l’autonomie des religions), la reconnaissance de la liberté de conviction et le principe de non-discrimination. Voir Jean-Paul Willaime, « Peut-on parler de laïcité Européenne ? », dans J. Baubérot (dir.), La laïcité à l’épreuve. Religions et libertés dans le monde, Universalis, 2004, p. 53 ss . Voir aussi à ce sujet Henri Pena-Ruiz, Qu’est-ce que la laïcité?, Paris, Gallimard, 2003.
D’autre part, le terme laïque est parfois utilisé dans le domaine philosophique et désigne alors un système de pensée « concurrent » des religions et situé en quelque sorte sur le même plan qu’elles : on le trouve par exemple dans l’expression « morale laïque ». Pour plus de détails, voir le site de la Grande loge de Belgique (http://www.glb.be/FR/) et celui de l’Université libre de Bruxelles (http://www.ulb.ac.be ).
7 M. Milot, « Séparation, neutralité et accommodements en Amérique du Nord », dans J. Baubérot (dir.), La laïcité à l’épreuve. Religions et libertés dans le monde, Paris, Universalis, 2004), p. 109.
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les accommodements accordés au nom de la liberté de religion n’aient pas pour effet de les asservir davantage.
En vertu de ce principe, nous pensons aussi que l’État doit adopter une politique de répression active des comportements illégaux d’inspiration culturelle ou religieuse (mariage forcés, mutilations sexuelles, violence familiale, etc.) aussi bien dans les communautés culturelles que dans le groupe majoritaire.
La coexistence des libertés des uns et des autres n’est pas toujours facile, mais elle n’est pas impossible. Dans l’ensemble, le Canada la vit de façon relativement harmonieuse. Les seuls vrais problèmes sont ceux qui risquent de surgir lorsque deux libertés garanties par les Chartes sont en conflit, par exemple, la liberté de religion et l’égalité des sexes. Il appartient aux tribunaux de résoudre ces conflits.
Les structures administratives et judiciaires de protection des droits individuels existent déjà. Toutefois, la seule protection de la loi n’est pas suffisante. Elle doit être accompagnée d’outils d’éducation et de soutien qui aident les personnes à obtenir la pleine reconnaissance de leurs droits.
« Gérer » la diversité religieuse de la société sur le mode du pluralisme
En dépit d’une sécularisation massive8, la population canadienne-française est encore fortement imprégnée des valeurs et des traditions chrétiennes. De plus, comme le Québec est une terre d’immigration et non un « vieux pays » [commentaire: et voici la vision de lord Durham: le Québec n'as pas d'histoire et ne sera qu'un parking d'immigrants] et que bon nombre des membres d’autres groupes ethniques sont eux aussi très attachés à leur religion, nous croyons que, sociologiquement, cette « américanité » requiert un mode de gestion de la diversité religieuse qui privilégie le pluralisme et reconnaisse que, comme la diversité culturelle, la diversité religieuse est constitutive de sa nature et est appelée à la devenir de plus en plus. La protection des libertés exige, selon nous, la neutralité des institutions étatiques au sens le plus strict, mais elle ne l’exige pas des personnes, même dans l’espace public. La jurisprudence canadienne confirme cette opinion9. Nous souhaitons que l’État, garant de la liberté religieuse de tous les citoyens, continue à ce titre à protéger les adeptes de toutes les religions contre les discriminations, et en premier lieu contre les discriminations dont il serait lui-même la source par des exigences « laïques » trop rigides.
S’il faut employer le terme de laïcité nous dirons que nous sommes donc partisans de ce que la Commission appelle une « laïcité ouverte ». [commentaire: laïcité ouverte, voilà un beau slogan creux. Qui décidera du degré d'ouverture et de laïcité sinon les maçons?]Nous pensons en outre qu’une politique d’ouverture aux particularismes religieux est la meilleure façon d’éviter les replis dangereux que peut susciter le sentiment d’exclusion ou même de marginalisation. Les prières et les rassemblements religieux dans des lieux publics, les cloches le dimanche, les décorations de Noël et les chandeliers de Hanoucca dans les rues, l’érouv, la croix du Mont-Royal, etc., illustrent bien le type de pluralisme que nous souhaitons voir régner. Mais, selon nous, ce pluralisme devrait être un pluralisme consécutif à une politique d’abstention et non d’intervention de l’État : nous pensons que l’État ne doit pas interdire ces signes religieux, mais qu’il ne doit pas non plus financer les coûts qu’ils entraînent. Nous donnerons plus loin (voir pp. 8-9) des précisions et des exemples de la façon dont, en ce qui concerne
8 Nous entendons ici par sécularisation la «perte progressive de pertinence sociale et culturelle de la religion en tant que cadre normatif» selon la définition que Micheline Milot donne de ce terme dans Laïcité dans le nouveau monde. Le cas du Québec, Brepols, «Bibliothèque de l’École des hautes études- section des sciences religieuses», 2002, p. 32.
9 Voir à ce sujet J. Woehrling, «L’obligation d’accommodement raisonnable et l’adaptation de la société à la diversité religieuse», dans Revue de droit de McGill, 43 (1998), pp. 325 - 370 , ainsi que M. Milot, «Séparation, neutralité et accommodements en Amérique du Nord», dans J. Baubérot (dir.), La laïcité à l’épreuve. Religions et libertés dans le monde, Paris, Universalis, 2004, p. 119-120. 6
la question spécifique des accommodements accordés à des individus, nous concevons une gestion pluraliste de la diversité religieuse et les principes qui devraient l’inspirer.
Éduquer la population au pluralisme
La société québécoise est plurielle. Il revient à l’État de soutenir cette diversité et de faire en sorte qu’elle puisse se vivre dans le respect mutuel. Beaucoup reste à faire sur ce plan, car, si la société québécoise est déjà plurielle, elle n’est pas encore vraiment pluraliste.
Il faudrait développer davantage la « culture des chartes » comme base de la citoyenneté et mettre en garde contre les dangers d’un certain discours identitaire, nationaliste et ethniciste. [commentaire: c'est ça, chers FM, diabolisez tous ceux qui défendent la Nation. On voit vraiment ici à quel point vous êtes mondialistes ici] Il faudrait en particulier éviter que ne prévale une conception « maximaliste » de l’intégration qui ne tolérerait que les comportements conformes à ceux de la majorité.
Il faudrait aussi que des campagnes d’éducation populaire enseignent à la population « de souche » à découpler son identité du thème de la diversité culturelle et religieuse. Une action du gouvernement en ce sens ne serait pas contradictoire avec la neutralité préconisée plus haut [commentaire: propagande et mensonges en vue!] dans la mesure où elle s’abstiendrait de tout jugement de valeur sur le contenu des cultes en présence et se limiterait à promouvoir le pluralisme et l’ouverture.
Adopter une politique d’immigration à la fois rigoureuse et accueillante
Nous croyons que la société québécoise peut construire un modèle où les diverses traditions se côtoient dans le respect mutuel, mais où l’ensemble forme une société unique, une société où les différences se manifestent, mais dont les valeurs communes dont nous avons parlé constituent le ciment.
Par ailleurs, dans un contexte global dominé par la menace terroriste et la montée des extrémismes religieux violents, la politique d’immigration doit être rigoureuse et protéger autant que possible la population des personnes qui pourraient renforcer les groupes porteurs d’intolérance et de violence. Elle doit aussi permettre de vérifier que les personnes en question acceptent les valeurs qui fondent une société ouverte.
Si cette démarche est largement connue, mise en oeuvre sérieusement et couronnée de succès, cela ne pourra que rassurer les Québécois « de souche » et les disposer à mieux accueillir et à mieux intégrer les nouveaux venus. [commentaire: on va bien vous laver le cerveau, connards de "souche"]L’accueil des immigrants admis doit comprendre une initiation aux institutions, à l’histoire et aux coutumes de la société québécoise et un renforcement de leur adhésion aux valeurs mentionnées ci-dessus.
L’intégration des immigrants exige en outre que soient prises des mesures concrètes pour faciliter leur accès à l’emploi, notamment dans la fonction publique.
[commentaire: tiens, cela ne serait il pas un droit collectif accordé aux immigrants? Pourtant plus haut vous affirmez que c'est mauvais les droits collectifs...] Elle doit aboutir à ce qu’ils deviennent pleinement fonctionnels, mais ne doit pas viser à les assimiler complètement s’ils ne le désirent pas.
Interpréter les critères d’octroi des accommodements dans un esprit de fraternité
Les considérations qui précèdent étaient centrées sur les valeurs universalistes de liberté, d’égalité, d’ouverture et d’inclusion qui sont au centre des valeurs communes des Québécois et à la base des idéaux des francs-maçons et qui nous conduisent à défendre la neutralité de l’État et le pluralisme de la société. Nous pensons aussi que la fraternité, autre valeur maçonnique, devrait également inspirer la démarche des décideurs, notamment dans la définition de ce qu’il faut considérer comme raisonnable lorsque l’on évalue des demandes d’ajustement ou d’accommodement.
Jacques Attali a écrit très justement que « l’Égalité et la Liberté entrent en collision à leur paroxysme » et
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qu’elles « ne peuvent survivre qu’en trouvant les conditions de leur simultanéïté : dans la Fraternité »10. Les grandes religions et les Lumières convergent vers cet idéal : « Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fit ; faites constamment aux autres le bien que vous voudriez en recevoir »11. Ainsi, l’esprit de fraternité nous suggère de juger raisonnable un ajustement ou un accommodement que nous souhaiterions pour nous-mêmes si nous étions à la place de celui qui le demande. Mais la fraternité n’est vivable que si elle est réciproque12. Ce même esprit incitera donc ce dernier à faire des demandes qui dérangent aussi peu que possible ceux auxquels elles s’adressent.
Pour le décideur, il s’agit donc d’« ’accommoder’ les uns sans incommoder les autres », comme le disait récemment à la télévision l’ancien président du Congrès juif canadien – Région du Québec, M. Joseph Gabay. [commentaire: le problème est que la majorité est extrèmement incommodé, monsieur Gabay, l'entendez vous?] Nous pensons que c’est dans cet esprit que doivent être interprétés les critères de la jurisprudence qui permettent de juger « raisonnable » un accommodement demandé.
« ’Accommoder’ les uns sans incommoder les autres ». Quelques exemples illustreront ce que nous entendons par là. Nous ne voyons pas d’inconvénient à ce que, dans l’exercice de leur profession, des médecins ou des professeurs d’établissements publics portent des signes religieux, kippa, voile islamique ne couvrant pas le visage ou col romain13. Ces arrangements, essentiels pour les uns, ne peuvent incommoder les autres que sur le plan symbolique. Pour nous, ils sont donc raisonnables, comme l’est le port du kirpan s’il est assorti de certaines précautions. En revanche, exiger d’être soigné par un médecin homme ou par un médecin femme peut poser des problèmes d’organisation du travail très importants. Il ne faut donc pas consentir systématiquement à des demandes de cette sorte.
On le voit, nous considérons comme raisonnables les mesures d’harmonisation qui n’entraînent que des inconvénients matériels mineurs pour ceux à qui elles sont demandées et auxquelles on ne peut donc s’opposer que pour des raisons symboliques relevant de choix idéologiques personnels. Cette interprétation nous semble en accord avec ce que nous savons de la jurisprudence. Elle réunit donc la fraternité maçonnique et les valeurs qui sont au coeur de notre droit.
10 Jacques Attali, Fraternités. Une nouvelle utopie, Paris, Fayard, 1999, p. 124.
11 Définition de la fraternité dans la Déclaration des droits et devoirs du citoyen figurant en tête de la Constitution de l’an III (1795) .
12 Cette réciprocité n’est cependant pas synonyme d’égalité et nous trouvons acceptables des situations, héritées de l’histoire, qui ne mettent pas les diverses religions dans des positions parfaitement symétriques. Nous admettons par exemple que, dans les limites des droits garantis par les chartes, on puisse, par respect de la tradition locale, imposer plus d’efforts d’adaptation à celui qui demande l’accommodement qu’à la collectivité majoritaire à laquelle il s’adresse. Nous ne trouvons donc pas choquant que le dimanche soit chômé dans les administrations, certains services publics et certains commerces pourvu que, comme c’est le cas, l’on autorise, par exemple, les commerces juifs qui ferment le samedi à ouvrir le dimanche.
13 Ce type d’accommodement permet d’accorder, selon les mots de Micheline Milot, «un droit de cité aux particularismes religieux individuels tout en préservant les normes communes.» (M. Milot, «Séparation, neutralité et accommodements en Amérique du Nord», dans J. Baubérot (dir.), La laïcité à l’épreuve. Religions et libertés dans le monde, Paris, Universalis, 2004, p. 118. Cet exemple illustre aussi notre position en faveur d’une gestion de la diversité religieuse pluraliste plutôt que strictement laïque (laïcité qui interdit, comme en France, la manifestation des religions dans les services publics et peut, selon nous, se révéler intolérante et porteuse d’exclusion. On a vu dans l’affaire du voile les malentendus et les tensions que son application peut susciter).
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3. Nos recommandations
Nous avions préparé ce printemps une recommandation demandant que la Commission intègre à son rapport une étude du rôle des médias dans le débat récent sur les accommodements raisonnables. Nous sommes heureux de constater qu’il n’est plus nécessaire de la formuler.
Les convictions que nous avons énoncées dans le présent mémoire nous amènent à demander que la Commission intègre les recommandations suivantes dans son propre rapport :
que le gouvernement
• résiste aux pressions tendant à faire invoquer la clause dérogatoire de la Charte canadienne des droits et libertés et à faire modifier la Charte québécoise des droits et libertés pour que soit limitée ou réduite l’obligation d’accommodement qu’elle impose;
• maintienne et réaffirme publiquement son engagement dans la défense des droits et libertés de la personne;
• affirme par une déclaration officielle la neutralité de l’État en matière de religion et prenne quelques mesures symboliques pour l’illustrer;
• ait à l’égard de la diversité religieuse de la société une position pluraliste;
• adopte et fasse connaître une politique d’immigration à la fois rigoureuse et accueillante;
• initie les immigrants aux institutions et à l’histoire de la société québécoise ainsi qu’aux valeurs humanistes qui constituent les fondements des chartes canadienne et québécoise des droits et libertés et s’assure qu’ils intègrent ces valeurs;
•
éduque la population au pluralisme et fasse la promotion d’une conception de la citoyenneté qui repose principalement sur la «culture des chartes des droits et libertés»;
• adopte une interprétation généreuse et fraternelle de l’obligation d’accommodement.
Ce texte, approuvé par La Libre Pensée le 6 juin 2007, est cosigné par
Nicole Chevrette
Josiane Hamers
Pierre Lamoureux
Amaury Lachaud
Annette Paquot